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← articles plus anciens 16 juillet 2018 l’équipe de football de la france la coupe du monde terminée, le football, sport d’apparence unanimiste alors qu’il n’est que médiatiquement survitaminé, pose toujours les mêmes questions : — quelle est la part d’intérêt véritable des français pour ce sport ? — et, est-il possible pour les citoyens d’un pays de s’identifier à une équipe et pourquoi plus précisément, de football ? la multitude qui regarde les matchs de football de la coupe du monde est composée de personnes très différentes, des enfants, des femmes, des spécialistes, des curieux, des critiques, des politiques, des économistes et même d’autres sportifs, des cheminots, des notaires, voire des gens qui ne regardent jamais le championnat de france. bref, toutes ces personnes ont leur propre filtre posé sur ce sport mais n’ont rien de commun dans l’appréciation du jeu ou du résultat de l’équipe de france bien qu’ensemble ils convergent vers un même centre d’intérêt passager. tous ces spectateurs, du supporter sans recul à l’intellectuel, participent à un spectacle national qu’ils complexifient alors qu’il faut le repréciser : le football n’est qu’un jeu. un jeu simple auquel tout le monde peut s’adonner, que tout le monde peut comprendre. en effet quoi de plus simple que comprendre la règle n° 1 du football : quand le ballon entre dans la cage, cela fait un point. n’importe quel autre sport, la pétanque y compris, demande plus de réflexion et de stratégie que le football. là réside la force et la raison du succès planétaire de ce sport : ses règles sont pauvres. à partir de ce constat, on peut donc en déduire que tout le monde le comprend, peut exprimer un avis, et donc se sentir libre de juger un match, un joueur, sans entrave. cela est moins compliqué que d’essayer de déchiffrer une lettre de l’urssaf, un projet de loi ou un mail de pôle emploi. d’où sans doute, le plaisir jouissif de regarder un jeu dont tout le monde peut parler sans risquer de (trop) se tromper est un moteur important de l’attraction d’une large palette de spectateurs qui, par exemple, se fiche complètement à cette heure de savoir que l’équipe de france de handball possède le plus beau palmarès dans les sports collectifs, loin devant le football. cependant, les émotions que procure ce sport ne forment pas selon moi une émotion collective mais, je dirais, une représentation de réactions particulières agglomérées, par exemple à la finale. les images télévisuelles seules donnent une impression de consensualité, par exemple sur les champs-élysées, alors qu’il n’y a en a aucune. car, ce n’est pas vrai, ma façon de « vivre » la coupe du monde n’est pas celle de mon voisin, même si j’ai adoré regarder le match avec lui parce que cela nous a permis d’instaurer entre nous une relation particulière à ce moment-là. en allant plus loin, je dirais que l’équipe de france n’est pour rien dans le besoin des gens de se rassembler pour se donner l’impression de respirer le même air, de se « sentir » plutôt que de se déchirer. je ne dis pas que cela est mal, je souligne juste que l’équipe de france comble un manque de joie douloureux. la victoire des hommes de didier deschamps porte donc une responsabilité qui ne devrait pas lui incomber dans la vie politique du pays. elle ne peut pas représenter l’ampleur des significations de la manifestation qu’elle génère. cela la dépasse. d’où la seconde question, sans réponse, celle de l’identification à une équipe. se noue-t-elle sur le plan sportif ? non. personnellement, j’ai admiré l’équipe du japon parce qu’elle jouait sans calcul et que sans doute, ce non-calcul me la rendait personnellement, intimement, sympathique alors que je ne connaissais aucun de ses joueurs. mais ce jugement ne tient qu’à moi. suis-je heureux de la victoire des bleus ? oui, dans la mesure où elle a été la meilleure équipe sans aucun doute du tournoi. anguille et caméléon à la fois, la france servie par des joueurs acceptant un jeu collectif réjouissant sans qu’aucun joueur n’écrase de sa présence le reste de l’équipe a produit un bel effet sur un sport où l’on accorde trop d’importance aux individus et à leur salaire. de ce point de vue, kylian mbappé devra être fort pour ne pas succomber au déluge d’éloges qui lui reviennent alors que la coupe du monde sacre cette fois véritablement une équipe, et non un prodige comme zinédine zidane qui avait tant pesé sur la finale contre le brésil en 1998, jusqu’à voir son nom s’illuminer sur l’arc de triomphe en ces termes : « zidane président ». n’importe quoi… et puis, ce ne peut être du jeu en lui-même, car à de très rares exceptions, toutes les équipes, désormais, jouent plus ou moins le même football, le style ou le technico-tactique n’étant abordé qu’en fonction des joueurs à disposition et non pas à partir d’un concept d’entraînement ou de culture propre (à ce sujet, les équipes d’amérique du sud et d’afrique ont du souci à se faire). quand cela est le cas, en général, l’entraîneur est viré parce qu’on n’a plus le temps de former des collectifs mais à peine celui d’agencer une addition de talents pour, un temps donné, généralement court, faire du management. c’est le mal de l’époque que de nier le temps, mais passons. en tout cas, didier deschamps a lui parfaitement fait son boulot et on lui a donné le temps pour cela. donc, si ce n’est de se déterminer par rapport à une conception de ce sport ou un style, il reste que le football international produit des équipes aux couleurs nationales, alors que les championnats domestiques mettent aux prises des sociétés, des entreprises, des logos, non plus des clubs, et ces derniers considèrent les spectateurs comme des clients. la sélection nationale est un autre projet, un projet éphémère qui ramène le sport à sa véritable dimension. toutes les cartes des valeurs des sociétés-entreprises de football sont rebattues et tous les quatre ans émerge un groupe d’hommes qui va mieux que les autres trouver en un temps minimal une cohésion pour obtenir un trophée. et la particularité de cette équipe est que, même si elle joue obligatoirement moins bien qu’une équipe du dernier carré de la champion’s league, elle n’appartient pas à un propriétaire ou à un fonds de pension, et devient ainsi l’équipe de chacun. et, bien sûr, c’est cette appropriation plus que l’identification aux joueurs ou à l’équipe (qui est impossible puisque par exemple, je pourrais préférer luka modric à antoine griezmann en tant que footballeur) qui a le pouvoir de rassembler. pour un jour, l’équipe de france représente la république dans toutes ses différences, ses contradictions, sa simplicité, gratuitement. elle renvoie l’homme politique à sa triste mission et à sa langue fourchue, l’équipe de france parle avec ses pieds et tout le monde comprend. et il n’est pas si fréquent dans nos sociétés interconnectées de pouvoir se prévaloir d’un dénominateur commun fabriquant de la fierté nationale transsociale sans risque. l’identification serait en fait plutôt le produit d’une émotion désintéressée. ce serait une bonne nouvelle s’il n’était pas un temps, pour parler de la france, où l’on pouvait se rengorger de produire collectivement de la fierté nationale, le concorde, le bien nommé paquebot france cher à michel sardou, des vins inimitables, un artisanat, un système de sécurité sociale, une esthétique, une culture commune pour aller vite, mais aujourd’hui grâce à la puissance de l’effet des médias et des politiques, il ne nous reste que le football national pour nous sentir concernés ensemble, que l’on aime ou pas le football. en ce sens je pense que le succès populaire de l’équipe de france de football (ou de l’équipe de football de la france) marque une régression du sentiment national car, après tout, je pourrais beaucoup plus fier que la france continue de produire des architectes ou des sociologues et des grands metteurs en scène ou des hôpitaux publics performants plutôt que des armes de guerre, mais comme cela n’est pas un je